Adapter nos territoires aux problèmes environnementaux qui viennent
la Résilience (capacité à absorber les chocs) du territoire fuvelain nécessite que chaque citoyen soit conscient des enjeux qui se jouent à tous les niveaux, mondial, national, local. Elle nécessite également une large participation de tous, apportant expériences, idées, connaissances.
Cet article fait le point sur les limites environnementales auxquelles nos enfants et nous-mêmes auront à faire face. Il se conclut par une demande à la Municipalité d’engager cette réflexion collective
1. LES FONDAMENTAUX
LE CHANGEMENT CLIMATIQUE
Lorsque l’on entend un adjoint de la Maire de Fuveau dire : « c’est un peu facile de dire que la vague de chaleur est liée au changement climatique », on imagine qu’il peut être utile de repartir de la base : pourquoi le changement climatique ?
Les activités humaines (industrie, chauffage, déplacement…) émettent des gaz à effet de serre (ils sont nombreux, les principaux sont le gaz carbonique et le méthane)[1]. Ces gaz se rajoutent aux gaz déjà présents dans l’atmosphère et y restent stockés (comme les pollutions restent stockées dans les sols, par exemple) durant une longue période : 100 ans pour le gaz carbonique, 14 ans pour le méthane. Pour donner une idée des grandeurs, à la fin du XIX ème siècle, toute l’atmosphère terrestre contenait environ 235 Gt de carbone. A partir de 1950, la combustion d’énergies fossiles ajoutait 1,5 Gt de carbone par an ; en 2021, les émissions du secteur de l’énergie ont atteint 40,8 Gt dans l’année.
Une fraction du rayonnement solaire est normalement ré-émise vers l’espace après avoir atteint la Terre. Mais celle-ci est bloquée par les gaz à effet de serre, ce qui augmente la température de l’atmosphère, avec toutes les conséquences que l’on commence à sentir sur le climat.
Le consensus scientifique est maintenant largement établi même si certaines industries se cachent derrière les innovations vertes pour ne pas parler de leur action climaticide[2].
Le GIEC[3]
Ce consensus scientifique s’est forgé grâce au GIEC qui alimente en rapports les négociations internationales sur le climat. Ce Groupe Intergouvernemental d’Experts sur le Climat (195 pays soit presque tous les pays sont membres du GIEC) a constitué des groupes de travail composés de scientifiques s’engageant bénévolement comme experts. Le GIEC fait la synthèse des travaux menés dans les laboratoires du monde entier, par exemple le dernier rapport couvre plus de 14 000 publications de recherche[4].
Si l’originalité du GIEC est d’associer les États aux rapports d’évaluation, ceux-ci n’interviennent que lors de la phase finale qui consiste en la rédaction du « résumé pour décideurs » mais les Etats n’interviennent pas dans le processus d’expertise scientifique ni dans les rapports méthodologiques, les rapports de synthèse et les rapports spéciaux établis par chacun des groupes de travail. Ces rapports ont un processus d’approbation section par section, ils sont « réécrits » 3 fois tout au long d’un processus qui dure 2 ans, comprennent 2 000 à 3 000 pages s’appuyant sur des milliers d’études et prenant en compte plusieurs dizaines de milliers de commentaires faits par les scientifiques relecteurs.
Tous ces travaux ont confirmé l’hypothèse avancée en 1896 par le Suédois Svante Arrhenius qui établit une relation entre la concentration de gaz carbonique dans l’atmosphère et la température de la planète. Le temps scientifique est parfois très long !
Les conséquences du réchauffement climatique
Nous les vivons : répétitions de plus en plus fréquentes d’étés caniculaires, de sécheresses , provoquant, entre autres, feux de forêt, dépérissement des forêts (scolytes…), avancement des récoltes (raisins, figues…) etc…
Mais plus grave à l’échelle mondiale, les scientifiques ont défini 16 points de non-retour. Ce sont des seuils qui, une fois dépassés, entraînent des changements importants au niveau de notre planète. Et justement, certains d’entre eux seraient d’ores et déjà dépassés, compte-tenu du réchauffement actuel de l’atmosphère qui est d’environ +1,2 °C au-dessus des moyennes de l’époque préindustrielle. Il s’agit de la fonte des calottes glaciaires du Groenland, celles de l’Antarctique occidental, le dégel abrupt généralisé du pergélisol (il s’agit du sol perpétuellement gelé, parfois depuis des millions d’années, son dégel augmente le taux de gaz à effet de serre (ici CO2 et méthane) dans l’atmosphère), l’effondrement de la convection dans la mer du Labrador et la mort massive des récifs coralliens tropicaux. Avec +1,5 °C de réchauffement les glaciers de nos montagnes ainsi que la forêt boréale seraient définitivement menacés, avec toutes les conséquences que cela induit.
En conclusion :
Il faut donc retenir que chaque portion de degré gagnée limitera les conséquences dangereuses, d’une part et que, malheureusement, nous aurons à subir le changement climatique car, même si nous arrêtons aujourd’hui de mettre du gaz carbonique dans l’atmosphère, il faudra attendre une centaine d’année pour que celui qui y est déjà, disparaisse.
LES AUTRES « LIMITES » PLANÉTAIRES
S’il nous a fallu plus d’un siècle pour admettre le changement climatique, l’action humaine a d’autres effets sur la Planète.
Suite au rapport Meadows du Club de Rome qui établit que la croissance sera limitée par la raréfaction des ressources naturelles, une équipe internationale de 28 scientifiques publie, en 2009, un article dans les revues Nature et Ecology and Society qui met en évidence 9 limites planétaires :
- le changement climatique
- l’acidification des océans
- la déplétion de la couche d’ozone
- les apports excessifs d’azote et de phosphore, responsables des phénomènes d’eutrophisation (prolifération d’algues)
- le manque d’eau douce
- la désertification
- les pertes de biodiversité
- la pollution atmosphérique
- la pollution chimique
Avec le risque difficilement évaluable des synergies possibles entre ces 9 limites planétaires ; en effet, leurs interactions peuvent faire boule de neige.
En 2009 : 3 limites planétaires étaient dépassées, dans le sens où les processus étaient déjà lancés : le changement climatique, l’érosion de la biodiversité, le cycle de l’azote perturbé. En 2015, nouvelle étude, nouvelle limite atteinte : la perturbation du cycle du phosphore. En 2022 s’ajoute la pollution chimique car, selon l’une des scientifiques ayant co-écrit l’étude, la professeure Bethanie Carney Almroth : “la masse totale des plastiques dépasse désormais la masse totale de tous les mammifères vivants“.
2. ON AURAIT PU AGIR PLUS TÔT
Pourtant ces éléments sont bien connus depuis les années 70, mais accompagnés de désinformations. Par exemple, en octobre 2021, des chercheurs avaient mis au jour une publication dans la revue de Total, de 1971, qui expliquait que la combustion d’énergies fossiles conduit « à la libération de quantités énormes de gaz carbonique » et à une « augmentation (…) assez préoccupante » de gaz carbonique dans l’atmosphère. Pour autant, le groupe a passé ce sujet sous silence et au milieu des années 1980, l’Association environnementale de l’industrie pétrolière (IPIECA), a pris la tête d’une campagne internationale pour « contester la science climatique et affaiblir les contrôles sur les énergies fossiles ». Même situation que le tabac ou l’amiante.
Les politiques étaient pourtant prêts à agir. Dans les câbles diplomatiques américains (1966-2010) rendus publics par WikiLeaks se trouve ce message : « Les dirigeants du monde entier ont exprimé leurs préoccupations face aux indications d’un possible changement climatique à long terme. (…) Le secrétaire d’État Kissinger propose que ce problème fasse immédiatement l’objet d’investigations. »
Des lanceurs d’alerte prenaient la parole.
On peut citer l’agronome René Dumont et sa célèbre « prophétie» réalisée devant un simple verre d’eau : « Nous allons manquer d’eau (cliquez pour voir la vidéo) », pour les élections présidentielles de 1974.
Plus tôt le rapport Meadows sur les limites de la croissance (première communication en 1971). Plus tôt encore, Avant que nature ne meure de l’ornithologue Jean Dorst (paru en 1965, suite au best-seller « le printemps silencieux » de Rachel Carson (1963) qui montrait les effets négatifs des pesticides sur l’environnement, et plus particulièrement sur les oiseaux et. qui contribua à l’interdiction du DDT, en 1972)
D’autres grands noms peuvent être cités : le spécialiste des déserts Théodore Monod, Jacques-Yves Cousteau qui mobilise en 1960 pour dénoncer les fûts de déchets nucléaires prêts à être jetés dans la Méditerranée, l’émission télévisée La vie des animaux produite par Frédéric Rossif, les philosophes Serge Moscovici, Bernard Charbonneau, Edgar Morin, André Gorz .
Aucun de leurs cris d’alarme n’a été écouté. Le contre-choc pétrolier en 1986 a précédé les années « Tapie », puis s’en vinrent les années « bling-bling ». Toutes ces voix ont été marginalisées dans les médias grand public, considérées comme des Cassandres à contre-courant de la modernité.
Le drame c’est que Cassandre avait raison.
Mais il ne faut pas baisser les bras.
3. NE PAS PERDRE DAVANTAGE DE TEMPS
SE PREPARER, PLANIFIER
Il n’est pas trop tard pour arrêter l’emballement et donner à nos enfants, petits-enfants et arrière-petits-enfants les moyens de ne pas vivre une catastrophe intégrale. En matière de réchauffement climatique, chaque dixième de degré compte. Il faut donc diminuer d’urgence la consommation d’énergies fossiles, tout en se préparant aux conséquences déjà engagées. On parle dans le premier cas d’atténuation : comment faire pour consommer moins ? Et dans le deuxième : d’adaptation.
Au titre des politiques d’atténuation, on trouve la sobriété, l’investissement dans des solutions plus efficaces et le déploiement des énergies renouvelables.
Au titre des politiques d’adaptation, nous devons nous préparer aux stress chroniques – par exemple la baisse de la disponibilité en eau –, aux événements extrêmes – par exemple les inondations catastrophiques et leurs conséquences sur la vie économique, sociale et culturelle. Il faut définir le futur de certaines infrastructures stratégiques touchées par les conséquences du changement climatique (ports, réseaux ferrés, routes, assainissement), les choix de localisation ou d’investissements, pour de nombreuses opérations d’aménagement ou de renouvellement urbain. Des réformes concernant la santé et la protection sociale, la formation, et les systèmes d’indemnisation et de mutualisation des risques devront être entreprises. Dépenser maintenant permet de sauver des vies et de réduire les coûts plus tard
Les impacts d’un projet, d’un plan ou d’un programme sur l’environnement peuvent se traduire par une dégradation de la qualité environnementale et influer sur les 9 limites planétaires énoncées ci-dessus. Utiliser la séquence « éviter, réduire, compenser » (ERC) permet de diminuer les atteintes à l’environnement, de réduire celles qui n’ont pu être suffisamment évitées et, si possible, de compenser les effets notables qui n’ont pu être ni évités, ni suffisamment réduits. Cette méthode est utilisée pour l’eau, les déchets etc…
LE RÔLE INDISPENSABLE DES COLLECTIVITÉS LOCALES
Bien sûr elles peuvent engager des mesures techniques de lutte contre le changement climatique, de reconquête de la biodiversité, d’utilisation rationnelle des ressources, et de réduction des risques sanitaires environnementaux.
Mais au-delà elles jouent un rôle déterminant dans la formation de l’intérêt général et dans la prise en compte des situations locales dans des processus nationaux voire internationaux.
Et, si la situation se détériore fortement, elles seront nécessaires à une bonne gestion des conflits locaux, une bonne répartition des ressources et à la création de solidarités dans un environnement de plus en plus conflictuel.
4. COMMENT FAIRE DE FUVEAU UN TERRITOIRE RÉSILIENT ?
Comment affronter des températures de plus en plus hautes l’été ? Comment gérer la sécheresse (Les Bouches-du-Rhône sont encore en état de sécheresse au mois d’octobre) ? Quelles conséquences pour le tourisme, l’économie locale ? Que vont devenir les plateformes de la ZA Saint Charles ?
Quelle boîte à outils utiliser, et identifier les acteurs qui en auront la responsabilité et les moyens : mise à disposition des données climatiques, des cadres d’analyse, de guides méthodologiques et d’indicateurs. ?
Quel effort de sensibilisation aux impacts du changement climatique, aussi bien auprès des citoyens que des entreprises ou des scolaires ?
Quels besoins d’investissements pour échelonner l’effort dans le temps, en répartir la charge entre les acteurs et financer plus facilement ?
Pour trouver des réponses collectives à ces questions pour notre avenir, nous proposons à la Majorité municipale de lancer des états généraux de la résilience de notre territoire.
[1] voir https://www.alloprof.qc.ca/fr/eleves/bv/sciences/l-effet-de-serre-s1353
[2] rapport de l’université de Harvard : « 3 nuances de green(washing) ».
[3] Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, voir https://www.ecologie.gouv.fr/comprendre-giec
[4] Source : https://theconversation.com/234-scientists-read-14-000-research-papers-to-write-the-ipcc-climate-report-heres-what-you-need-to-know-and-why-its-a-big-deal-165587