Café Débat #6 Le cyberharcèlement chez les jeunes, brisons le silence, parlons-en
Vendredi 25 novembre, à la Maison Pour Tous avait lieu le 6ème Café Débat Fuveau Demain.
Les cas d’intimidation traditionnelle à l’école ont diminué pour prendre la forme de harcèlement en ligne. Celui-ci touche 20% des enfants et des jeunes de 6 à 18 ans.
Quels sont les signes qui peuvent alerter ?
Comment se faire aider, vers qui se tourner ?
Accompagner, prévenir, sensibiliser … Tels seront les sujets abordés lors de notre prochain Café Débat.
Une vingtaine de personnes étaient présentes pour écouter nos deux intervenants venus introduire le débat et répondre à nos questions :
– Lucas VOLET président bénévole de l’association OREMIS https://oremis.com/
Il est en particulier en charge du suivi du harcèlement scolaire et des troubles d’apprentissage dans le lycée Latécoère à Istres.
– Mélanie JACQUIER infirmière scolaire en lycée.
Lucas VOLET commence par nous présenter l’association Orémis
Trois piliers au sein de l’association :
- Pilier 1 : Plaisir d’apprendre
- Pilier 2 : Troubles DYS, aide à l’inclusion scolaires des élèves porteurs de handicap
- Ces élèves aux besoins spécifiques pouvaient être victime de harcèlement…mais pas eux uniquement et c’est comme cela qu’Orémis a été amené à développer ce troisième pilier, qui a pris de plus en plus de poids dans le travail de l’association.
- Pilier 3 : Harcèlement scolaire
L’association, reconnue par l’éducation nationale, intervient dans les établissements scolaires pour des formations, du travail de prévention « générale » ou sur un cas particulier.
Au sein du lycée Latécoère d’Istres, l’association est même intégrée au sein de l’établissement (bureau d’accueil pour les élèves) et des équipes (adresse Pronote…)
Mélanie JACQUIER, infirmière dans des lycées depuis 2017.
Le traitement des cas de harcèlement est devenu un élément majeur du travail des infirmiers scolaires. Le sujet est complexe et chronophage…et demande beaucoup de temps pour obtenir des résultats.
Le harcèlement est permanent et à tous les âges et il est évident que le numérique a fait exploser les cas.
L.V.
Avant, le harcèlement s’arrêtait aux portes du lycée…et la personne harcelée avait un moment de « répit » en rentrant chez elle… Ce n’est plus le cas avec les réseaux. Il n’y a plus de frontière.
La sexualité est le premier thème du harcèlement, avec en particulier l’arrivée des “nude” : ce sont des photos dénudées incluant les parties intimes qu’une personne envoi à partir de son téléphone.
Ce qui se fait entre deux individus consentants est de leur responsabilité…Aucun jugement là-dessus…mais il faut savoir que tout « reste » et que plus tard, cette photo pourra être utilisée (phénomène du « revengeporn » quand un des partenaires (déçu, aigri…) diffusera ces photos intimes contre la volonté de l’autre).
Orémis, peut aider à faire supprimer certaines de ces publications (en particulier en partenariat avec e-enfance : https://e-enfance.org
la plupart des réseaux collaborent (Snapchat, Tiktok, Instagram). En revanche, impossible d’avoir le moindre contact avec Twitter ou les modérateurs sont totalement absents (et la situation ne devrait pas s’arranger).
La pornographie a un impact très fort sur ces générations et particulièrement dévastateurs chez ces jeunes en pleine « construction ». Contrairement aux idées préconçues, loin d’une « libération », la présence de la pornographie aurait un effet « inhibiteur » sur un grand nombre de jeune (complexes, pression).
La surconsommation de numérique est un vrai sujet chez les élèves aujourd’hui (un grand nombre de téléphone disponibles après minuit) …et de plus en plus jeune (dès le primaire).
Par exemple, récemment : un élève de CM2 à filmé les ébats amoureux de ses parents et il a vendu la vidéo à la récréation.
M.J.
Les réseaux sont très présents dans les établissements.
En Lycée, il existe de nombreux comptes Instagram « collectifs ». Du plutôt innocent « balance to crush » (remplaçant du petit mot transmis par un copain pour dire que l’on n’est pas insensible à une personne)…qui a tout de même pour effet de « marquer les camps » entre les populaires et les transparents…en passant par des commentaires sur les professeurs. Et bien sûr, on assiste à une rapide « montée en puissance » (la violence verbale libère la violence verbale qui devient vite incontrôlable).
Les élèves sont également présents sur des comptes « publiques » (vu par tous) chaines Tiktok par exempleoù la quête des likes et des vues peut vite générer de la frustration (en manque de « like ») avant que les « haters » n’arrivent (qui insultent anonymement).
Il y a également les groupes de classe (Snapchat)…au début lieu d’échange d’infos, d’entraide…Et rapidement certains exigent les réponses auprès des bons élèves…Et les sujets « dérivent » : amitiés, coup de cœur, amours…tout devient public, à la vue de tous (ce qui fige beaucoup d’enfants et les conduits à la frilosité dans leur développement amical, sentimental). Et bien sûr, dès qu’une pointe négative apparaît la discussion, c’est l’escalade. Parfois les professeurs peuvent être aussi impliqués.
Au collège. C’est pire…car ils n’ont souvent pas conscience du danger. Ils sont moins responsables, moins empathiques et les effets de groupe (de meute) y sont encore plus violents. Les réputations (bonnes ou mauvaises) s’y font et cela peut vite dégénérer (intervention des frères, parents et bagarres à la sortie).
En primaire, le confinement a fait entrer les réseaux dans l’école primaire. Diffusion des jeux dangereux, pornographie….
L.V.
Se pose la question de l’exposition aux portables, enfants exposés trop tôt à des contenus qui ne sont pas adaptés.
C’est parfois une « facilité » pour certains parents qui sont « tranquilles » pendant que l’enfant est devant un écran.
Les parents sont responsables (y compris pénalement) des faits et gestes de leurs enfants sur les réseaux.
Statistique de l’Insee datant de 2013 (avant l’essor des réseaux sociaux) : 3 élèves sur 10 avaient été victimes de cyberharcèlement. Dans une enquête récente, d’Orémis sur 1400 élèves, 4 sur 10 se déclarent victimes de cyberharcèlement.
Ce qui est efficace, c’est la prévention en classe avec les parents pour les plus jeunes.
Il est important de sensibiliser les jeunes à la « cyber-réputation ». Tout ce qui est mis sur internet reste et pourra ressortir au plus mauvais moment.
Des exemples ont été donnés d’une personne qui a envoyé une photo de ses parties intimes à sa copine. Cette copine à ensuite diffusé sur Internet. Ces photos sont toujours sur Internet à ce jour. Cela pose des problèmes de recrutement pour cette personne, en effet, cette photo ressort lorsque l’on « google-ise » son nom, pratique commune des recruteurs (taper le nom de la personne dans Google et voir ce qui ressort).
Le harcèlement peut rester enfoui dans l’esprit des agressés. Il peut ressortir ultérieurement et nous bloquer dans nos actions. Il détruit en profondeur la confiance en soi, à un moment où elle est en construction.
Les victimes parlent très rarement…et encore moins à leurs parents (sentiment de honte, ne pas vouloir décevoir…déni (ce n’est pas grave, c’est une blague…ce qui est souvent également la défense du harceleur)
Lorsque des personnes témoignent, on ne trace pas qui en parle. Ainsi les témoins ne subiront pas de représailles.
Comment détecter une personne en situation de harcèlement : enfermement, se réfugier dans les réseaux sociaux, perte d’appétit… anxiété voire phobie scolaire et pour les cas les plus graves scarifications ou tentative de suicide.
L.V.
Les locaux de l’Association sont installés dans le lycée Latécoère à Istres. Les lycéens sont libres de venir les rencontrer.
L’association fait intervenir des bénévoles dans les établissements scolaires. Le coût pour un établissement est une adhésion de 40€.
Les interventions sont sous forme de formation (« cours magistral » ou, et c’est encore plus efficace, en cours inversé, en partant des réflexions et questions des élèves).
La sexualité représente le ¾ des situations de harcèlement…et la diffusion de la pornographie (violente, agressive, misogyne) dicte une « norme »… qui est tout sauf la norme !
Le harcèlement peut apparaître sous toutes les formes (y compris professeur vers élèves ou responsable vers employés).
La discussion avec le harceleur peut le faire réaliser les actes qu’il a commis.
Depuis Mars 2022, le harcèlement scolaire constitue un délit.
Peu d’efficacité de l’État et des lenteurs administratives du service public.
M.J.
L’éducation Nationale a créé le programme pHARe (https://www.education.gouv.fr/non-au-harcelement/phare-un-programme-de-lutte-contre-le-harcelement-l-ecole-323435) malheureusement, il manque des relais dans les établissements pour déployer le programme.
Des entretiens sont organisés à l’école et à la maison pour prendre conscience que l’on est harcelé.
https://www.education.gouv.fr/non-au-harcelement
Le premier obstacle à la résolution du problème…c’est le déni. L’enfant n’a pas forcément conscience d’harceler…ou d’être harcelé.
Les situations de harcèlement ne viennent pas aux oreilles des parents.
Les victimes ne parlent pas, ne veulent pas inquiéter…ils peuvent avoir honte, peur que cela ne s’aggrave.
Il faut des Adultes pour « mettre des mots » sur ces actes.
L.V.
Les témoignages sont anonymes sur oremis.fr. Puis les envois sont faits vers le chef d’établissement.
Des boîtes aux lettres anonymes peuvent être mises en place dans certains établissements.
M.J.
Dans un cas de harcèlement, on suit le protocole suivant :
- Accueil et recueil témoignage de la victime,
- Accueil et recueil témoignage témoins,
- Accueil et recueil témoignage auteurs,
- Accueil des parents pour les prévenir et les accompagner.
Le protocole est assez lourd, mais il faut cela pour respecter toutes les parties.
Le protocole permet souvent d’éviter des bagarres devant les établissements.
Le programme PIKAS est plus rapide car directement avec l’auteur (en cherchant son empathie)
La méthode Pikas consiste en une série d’entretiens individuels avec les élèves ayant pris part au harcèlement et au cours desquels on recherche avec eux ce qu’ils pourraient eux-mêmes mettre en œuvre pour que le harcèlement cesse. Pikas part du principe que le harcèlement est un phénomène de groupe et que celui-ci exerce une pression sur chacun de ses membres pour se maintenir dans le harcèlement. La peur est ainsi le véritable ciment du groupe. La méthode consiste à briser cette unité du groupe et à rechercher avec chacun de ses membres une issue positive pour sortir du harcèlement.
Le plus efficace reste la prévention dès le plus jeune âge.
Les actions à faire à la maison :
EN PARLER, encore en Parler et en Reparler !
Tous les enfants peuvent être agresseurs ou agressés (même involontairement).
La plus grande partie des réseaux sociaux sont interdits en dessous de 13 ans…ce n’est pas pour rien…et il est bon de respecter cette règle.
Parmi les nouvelles tendances, nous constatons que les enfants s’échangent les mots de passe d’applications sous le prétexte d’un « mariage amical »… on peut imaginer le désastre si les relations se dégradent à un moment donné… Nous ne savons plus qui dit quoi.
C’est aux parents de vérifier les paramètres de confidentialité dans les applications.
Sur la plupart des applications, il est possible de cliquer pour signaler certaines publications…il est bon d’apprendre aux jeunes à le faire (s’ils sont gênés, choqués… il faut signaler).
Il est important également que les parents montrent le bon exemple…on ne devrait pas exposer l’image de ses enfants sur les réseaux sans leur en parler…C’est un très mauvais signal vis à vis de leur rapport à l’image et à leur image en particulier qui leur appartient.
L.V.
Une plateforme PHARO pour signaler la malveillance : https://www.cybermalveillance.gouv.fr/diagnostic/accueil
Il existe également l’excellente association e-enfance et leur application 3018 pour signaler les faits.
https://e-enfance.org/app3018/
Début des échanges avec les participants au café débat
Il a été proposé de prendre un temps lors de la réunion de rentrée des établissements avec les parents de communiquer sur le harcèlement et le cyberharcèlement.
Le harceleur/agresseur est souvent, lui-même en souffrance. Il est toujours important de comprendre…cela n’excuse pas, mais c’est à prendre en considération si on souhaite corriger le mal à la source.
Les parents sont de plus en plus absents. Il y a une large part qui est inaccessible (ne répond pas aux mails, courrier ou appel des établissements).
Ce n’est pas forcément nouveau…est ce que la génération des parents d’aujourd’hui se confiait réellement plus à ses propres parents sur les problèmes qu’ils rencontraient ?
Les surveillants peuvent jouer le rôle de lanceur d’alerte au sein des établissements. Ils entendent une phrase par-ci par-là, ils peuvent en faire part au chef d’établissement.
Il est vain de prétendre protéger son enfant en « l’isolant » complètement des réseaux. S’ils en sont « protégés » à la maison, il y aura toujours un copain, un cousin…pour lui en ouvrir les portes. Et alors, l’enfant « non préparé » risque de commettre toutes les erreurs « basiques ». Il est probablement préférable « d’accompagner » l’enfant et de rentrer dans le monde des réseaux avec lui, en lui apprenant les bonnes pratiques. On peut aussi, à ses débuts et évidemment avec l’accord de l’enfant, aller voir avec lui périodiquement le contenu de ses réseaux (paramètres de confidentialités, contacts, contenus…).
Y a-t-il vraiment une augmentation…après tout, ça a toujours existé ?
Le phénomène est devenu plus visible et les réseaux ont démultiplié, changé d’échelle ce phénomène. Il est indéniable que les périodes de confinement lié au COVID ont été un accélérateur (on a vu l’explosion des demandes en pédopsychiatrie). Le retour a également été difficile…il a fallu réapprendre la vie en collectivité…
Les parents ont pu ressentir la même chose avec le télétravail, lien cassés difficiles à rétablir, beaucoup de mal à supporter le retour en « open space » et la vie avec les collègues.
Le harcèlement n’est pas lié à un milieu « social », tout autant de cas dans les établissements « privilégiés » que dans les établissements en zone sensible.
Le phénomène ne semble pas non plus particulièrement « français », il se retrouve dans de nombreux pays (et peut être encore plus dramatiquement aux États Unis).
Après 1h45 de présentation et d’échanges, nous mettons fin à ce 6ème café débat Fuveau Demain.
Et terminons par un moment de convivialité et d’échanges informels.